Heureuse récente rencontre en fouinant dans une brocante de vieux bouquins !
Le "J'accuse l'économie triomphante" d'Albert Jacquard, publié en 1995 dans la collection "Le livre de poche" !
Ce petit livre date de bientôt 15 ans, ce qui est beaucoup quand on parle d'économie, mais les vérités fortes ne se démodent pas et peuvent prendre même un singulier relief en ces temps de
catastrophe financière planétaire.
Dans ce livre l'auteur s'en prend violemment à ce qu'il nomme "l'économisme" qu'il situe au même niveau mental que l'intégrisme et le fanatisme religieux. Il dénonce par là une croyance très
répandue chez les experts économistes et les hommes politiques (influencés par ces mêmes experts) que l'économie mondiale, c'est-à-dire la gestion matérielle du monde et de ses populations obéit
à des lois immuables et incontournables (la science économique) qui permettraient d'établir des "vérités scientifiques" au travers de modèles économétriques traitant par
ordinateur des milliers d'équations mathématiques !
Ces prétendues "vérités scientifiques" seraient naturellement sans appel et il ne resterait qu'à s'incliner devant leurs "diktats" et leurs conséquences inéluctables quelqu'en puisse
être le coût social !
A titre d'exemple de loi, il cite la fameuse libéralisation des échanges. Selon la pure théorie économique libérale, en effet, déréguler les échanges, supprimer tout ce qui entrave la libre
circulation des biens et des services favorise le développement de la production des biens utiles à tous ! Les américains, lors de l'Uruguay Round de 1993 avaient même exhibé un modèle
économétrique riche de 77.000 équations mathématiques qui permettait de chiffrer avec précision la croissance de la production mondiale en cas de dérégulation totale des échanges !
Mise à part l'invérifiable pertinence d'un modèle aussi complexe et de tous ses critères de choix, serait-il raisonnable de la part des dirigeants mondiaux de se fier à un tel modèle sans tenir
compte des réalités qui se cachent derrière lui et des conséquences dramatiques faciles à imaginer (écrasement des pays les plus faibles dans une guerre économique totale régie par la
seule loi de la concurrence, ruine de nombreuses agricultures et productions locales incapables de résister à la supériorité technologique des pays du Nord, réduction générale des
charges pesant sur la production entraînant un recul social dans la plupart des pays, etc.....) !!
Autre règle sacro-sainte citée par l'auteur : La fameuse division internationale du travail qui incite chaque pays à se spécialiser dans les secteurs qui lui assurent un avantage compétitif
préférentiel...et à abandonner les autres au profit des pays concurrents ! Au nom d'une telle loi, la France par exemple sacrifierait son agriculture (estimée moins rentable que celle de l'Inde,
du Brésil, de l'Argentine ou de l'Australie, voire des Etats-Unis selon les secteurs concernés !) pour se spécialiser dans la recherche et les produits de haute technologie...et abandonner à
leur triste sort les campagnes et 10% de la population active du secteur agricole et aro-alimentaire ! Qui serait assez fou pour accepter un tel Diktat économique
!
Derrière l'application aveugle de la "rationalité" économique, le diable ou la démence ne sont pas loin et ceci pour une raison fort simple que l'auteur, en homme de sciences, nous rappelle
:
On ne peut confondre une science véritable étudiant des mécanismes qui s'imposent à nous via les lois de la Nature et une science approximative étudiant
des mécanismes qui dépendent, pour une bonne partie, de nous et de nos comportements tant individuels que collectifs.
Nul doute pourtant que les
méthodes scientifiques et les moyens mathématiques soient utiles dans l'étude et la modélisation des échanges économiques...mais à la condition impérieuse d'adopter des hypothèses restrictives et
des critères de choix transparents socialement acceptables. Pour illustrer son propos, l'auteur établit l'analogie entre le concept fondamental de "valeur" de la théorie économique et le concept
de "QI" pour mesurer l'intelligence humaine.
La mise en application des principes de l'économie libérale a déjà montré, en de multiples occasions, les ravages qu'ils
pouvaient causer. On n'en prendra pour exemple récent que la ruine partielle de l'agriculture mexicaine (la culture du maïs notamment) suite à l'entrée en vigueur de l'ALENA (accord de
libre-échange entre les pays d'Amérique du Nord et du Centre) qui a permis l'entrée en force du maïs américain au Mexique avec en conséquence la ruine de cette culture locale et la dépendance de
ce pays aux importations alimentaires et donc aux fluctuations des prix mondiaux ...ce qui a abouti aux émeutes de la faim (les fameuses émeutes dites de la
"tortilla") lors de l'explosion des cours mondiaux en 2008 !
Dans les relations inter-Etats, le bilan d'un économisme non régulé ne peut en aucune manière être considéré comme positif. Productivisme et compétition exacerbés ne peuvent conduire qu'aux
gaspillages des ressources non renouvelables, aux rapports de force, à l'augmentation des tensions inter-Etats ou inter-continents, au creusement des écarts de niveau de vie entre pays développés
et pays sous-développés voire au pillage de ces derniers par les sociétés multinationales dont le rôle économique est bien plus important que celui de nombreux Etats nationaux. Il n'y a pas
de "main invisible" pour organiser harmonieusement les échanges économiques mondiaux pour la satisfaction de tous. Il n'y a que confrontation brutale et implacable.
Penser le contraire, c'est tout simplement un retour aux mythes de nos ancêtres !
Au sein d'une société nationale, ce bilan est tout aussi négatif. L'application brutale des règles de rationalité économique ne peut qu'accentuer les inégalités entre les citoyens, favoriser les
forts (les nantis, les méritants, les bien éduqués, les intelligents ou simplement les chanceux) au dépens des faibles dans un climat de compétition et de "challenge" permanent, la logique du
gagnant ne pouvant aboutir qu'à l'échec final de tous. Tout se passe comme si la logique économique agissait sur les individus comme une drogue dont il faut prendre des doses de plus en plus
fortes pour trouver plaisir et satisfaction. Son cynisme aboutit à subordonner le droit au logement à la rentabilité des investisseurs immobiliers, à gérer l'activité par le chômage et
l'exclusion via le concept de la crise permanente et du leurre de la course à la croissance qui permettrait le plein-emploi.
Vis-à-vis du tiers-monde, l'économisme, comme tout intégrisme, fait du prosélytisme : Faites comme nous, clament les Etats développés ! Adoptez nos principes et nos lois et vous pourrez prétendre
à notre niveau de vie !
Ce qui est tout bonnement une forfaiture, la planète ne pouvant supporter une population de 6 milliards (bientôt 10) bénéficiant des standards de consommation des citoyens occidentaux !
Selon les calculs d'experts, elle n'en supporterait même pas un petit milliard !
Quant à faire émigrer une partie de la population humaine sur une autre planète, cela restera toujours du domaine du "rêve cosmique" au vu de l'énormité des distances et des lois (certaines
et vérifiées celles-là) de la physique !
Alors ? Vers quoi se tourner si cette fameuse science économique aveuglèment appliquée ne peut que nous conduire à la guerre économique généralisée, au retour de la barbarie et à la
catastrophe planétaire ?
Albert Jacquard dans son livre nous indique quelques pistes qui feront l'objet d'un autre article.
Source : "J'accuse l'économie triomphante" d'Albert Jacquard. - 1995
Edition "Le livre de poche"