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12 mai 2008 1 12 /05 /mai /2008 13:56


Fernand BRAUDEL, grand historien du Capitalisme, a publié il y a maintenant 30 ans un ouvrage très remarqué à l'époque et intitulé : "La dynamique du capitalisme" dans lequel il démontrait magistralement que le capitalisme dérive par excellence des activités économiques à leur sommet, qu'il en représente la superstructure et la zone de haut profit. Pour les gens pressés ou ne disposant que de peu de temps, il est possible de trouver un résumé de sa thèse dans un petit volume portant le même titre et reproduisant le texte de 3 conférences données en 1976 aux Etats-Unis et publié chez Flammarion, collection Champs sous le no 192

Vouloir résumer en un article ne serait-ce qu'une partie d'une telle thèse qui s'appuie sur des connaissances encyclopédiques est naturellement une gageure. L'ambition de cet article se bornera à retouver le lien schématique et forcément très simplifié qui unit les premiers niveaux d'échange (ce que Braudel appelle La vie matérielle), à l'apparition puis au développement de l'économie de marché et enfin à l'économie capitaliste marchande déjà nettement financière et internationale au 18ème siècle.
Les différentes phases du processus sont évidemment fort complexes et mériteraient de longs développements.  De multiples chevauchements existent , en effet, tant du point de vue temporel que du point de vue géographique. A toutes périodes jusqu'aux plus récentes, les pouvoirs politiques, les relations pacifiques ou conflictuelles inter-Etats, les forces de la nature (sous la forme notamment des épidémies et des famines), les progrès techniques (concernant la navigation maritime notamment) vont influer les processus économiques, réglementant, stoppant ou libéralisant les échanges de marchandises et de capitaux, forcant ou respectant les règles des marchés.

Les premiers temps de l'histoire économique, Fernand Braudel les inclut dans son concept de "vie matérielle", qui contient l'activité quotidienne des hommes fait d'innombrables gestes hérités, accumulés, répétés, parfois améliorés, un ensemble de façons, de modèles, d'habitudes, d'obligations d'agir lié à la fois au temps (saisons, climat, semailles, récoltes...) et aux contraintes sociales (autorité et exigences des chefs puis des seigneurs et des princes en attendant celles des Etats, obligations et interdits religieux,...) et venu du fond des temps. Vie donc plus subie qu'agie et qui ne va s'améliorer que très lentement au cours des âges. Cette "vie matérielle" est en quelque sorte canalisée par des forces qui dépassent l'individu. Sa puissance biologique de reproduction est jugulée jusqu'au 15ème siècle par la ressource alimentaire à laquelle s'associe une réalité biologique malsaine (épidémies, maladies endémiques, mortalité infantile énorme, hygiène de vie déplorable, mauvaise qualité de l'eau potable, etc...) et des conflits endémiques ou brutaux avec leur cortège de destructions et de massacres. Ce n'est qu'à partir de 1450 que la population européenne va rapidement croître. Ses conditions de vie ne vont s'améliorer, avec des hauts et des bas, qu'au rythme du progrès des techniques et des échanges qui n'influenceront sensiblement la production des ressources alimentaires et des biens que fort tardivement. Cette économie primaire est d'abord une économie rurale de proximité, à base de troc, qui consomme une énorme proportion de sa production dans l'auto-consommation de ses membres (chefs et clergé inclus). Ce modèle économique est encore visible de nos jours dans quelques rares sociétés primitives non encore touchées (détruites serait un mot plus juste) par la modernité.

Et puis, progressivement, au rythme des civilisations et des innovations de toutes sortes, la vie économique va apparaître, s'extrayant le la gangue de la "vie matérielle" ci-dessus décrite. Ces deux modèles de vie resteront fort longtemps partenaires et concurrents malgré l'apparition des monnaies, le développement des villes et la multiplication des échanges. La nouvelle vie économique que l'on appellera l'économie d'échange commencera modestement dans les marchés élémentaires, locaux, villageois avec des volumes et des débits souvent médiocres et jusqu'à l'aube du 19ème siècle restera très imparfaite, freinée par la grande part de production toujours absorbée par l'auto-consommation locale. Au milieu du 20ème siècle on rencontrait encore dans les villages français des familles paysannes vivant en grande partie de l'auto-consommation de leur production (viandes, lait, fromages, volailles, légumes, céréales,..) vendant les surplus au marché et n'y achetant que le strict nécessaire à leur activité et à un confort élémentaire ! Malgré ces imperfections, l'économie d'échange progresse. Elle reliera bientôt suffisamment de bourgs et de villes pour commencer à organiser la production, à orienter et commander la consommation. Il y faudra des siècles mais entre les deux univers - la production où tout nait et la consommation où tout se détruit - elle va être le moteur, la liaison d'où vont jaillir les incitations, les initiatives, bref les forces vives génératrices de progrès et de meilleur être. Vont alors fleurir les "petits métiers" (artisans itinérants, colporteurs, artisan-boutiquiers) puis les vrais métiers de l'échange (boutiquiers, vendeurs sur marchés et marchands). A l'étage au-dessus, jouant un rôle supérieur, on va trouver les foires (grands rendez-vous périodiques souvent spécialisés) et les premières bourses dominées par les gros marchants qu'on appellera négociants et qui vont traiter le commerce de gros. On étudiera dans un prochain article comment ces outils de l'échange peuvent expliquer les vicissitudes de l'économie européenne de l'ancien régime entre 15ème et 18ème siècle et les différences avec les économies non-européennes de la même période.

Entre 15ème et 18ème siècle, la zone de l'économie de marché ne va cesser de s'élargir. Le signe qui le prouve est la variation en chaîne, à travers l'espace et au-delà de l'Europe, des prix des marchés. Il apparait donc alors qu'une certaine économie relie entre eux les différents marchés du monde mais cette économie de concerne que les marchandises exceptionnelles (les épices bien sûr et malheureusement les esclaves noirs vers les antilles, les Amériques et l'Arabie) mais aussi les métaux précieux (les pièces de huit espagnoles en argent couvrent toute l'Europe puis traversent la méditerranée, l'empire turc et la Perse avant d'atteindre le Japon et la Chine). Avec cet élargissement de sa zone d'action, l'économie de marché va voir apparaître deux formes bien discernables.
Dans la forme A, on rangera les échanges quotidiens du marché, les trafics locaux ou à faible distance et même les commerces à plus large rayon d'action lorsqu'ils sont réguliers, prévisibles, routiniers, ouverts aux petits comme aux grands marchands (par exemple le commerce de grains de la Baltique entre Dantzig et Amsterdam au 17ème siècle ou le commerce de l'huile et du vin du Sud vers le Nord de l'Europe). Il s'agit d'échanges sans surprises, "transparents" dont les résultats et les gains sûrs et modérés sont peu ou prou connus à l'avance.
Dans la forme B, l'échange fuit la transparence et le contrôle. Nous sommes dans le Capitalisme marchand qui fuit les règles commerciales contraignantes et cherche à s'en débarrasser. Sa règle, c'est de s'adapter aux besoins des marchés et de profiter le plus discrètement possible d'opportunités de gains optimaux. Le gros négociant international s'adapte aux besoins réels du moment, négocie secrètement avec ses correspondants, fait des "coups" profitant ici d'une disette qui quadruple le prix des céréales, là de besoins mlitaires urgents (poudre, armes, équipements divers...) en vue d'une nouvelle campagne. Les historiens anglais ont noté dès le 15ème siècle l'apparition du private market à côté du marché public traditionnel. Ce nouveau marché, Braudel l'appelle contre-marché pour en accentuer les différences. Il s'agit, en effet, d'un changement considérable de nature car le lien entre le producteur et le consommateur est alors brisé par l'intervention du négociant qui avec son argent comptant va contrôler l'amont de l'échange (en achetant la laine avant tonte, les animaux sur pied, le blé avant récolte ou toute autre production avant qu'elle n'existe) puis chercher à imposer ses prix en aval auprès du consommateur. Le négociant ne gagnera pas à tous les coups, parfois il perdra ou sera rattrapé par ses infractions aux règles du commerce mais les plus habiles vont coloniser progressivement les grandes affaires, les plus juteuses, celles qui associent les grandes distances aux outils financiers nouveaux (lettres de crédit, prêts, avances, crédits de toutes sortes, monnaies, assurances,...) et aux nouvelles techniques de transport. Des gros bénéfices générés vont dériver des accumulations de capitaux considérables entre quelques mains fort peu nombreuses.  Ce n'est pas un hasard si, dans tous les pays du monde, un groupe de gros négociants, toujours lié au commerce de loin, se détache nettement de la masse des marchands. Partout ces premiers Capitalistes sont les amis du Prince, les alliés ou les exploiteurs des Etats. Ils ont la supériorité de l'information, de l'intelligence, de la culture, et leur  masse financière (au besoin via l'emprunt. L'adage :"On ne prête qu'aux riches" ne date pas d'hier !) leur permet d'acquérir privilèges et monopoles ou d'étouffer presque à tous coups la concurrence.
Dernier point remarquable à citer, à l'issue de cet article, sur le capitalisme marchand, sa non-spécialisation. Le capitaliste-marchand n'est jamais, sauf rare exception, spécialisé dans une seule branche. Selon les occasions il est armateur, prêteur, assureur, emprunteur, financier, banquier, exploitant agricole ou entrepreneur. La raison principale n'en est pas le partage de risques mais bien le fait qu'aucune branche d'activité n'est alors assez importante pour absorber toute son activité. Il s'agit donc d'un capitalisme d'essence conjoncturelle, changeant sans cesse de secteur d'activité selon les niveaux de profit escomptés. Au système de production industrielle, gourmand en capitaux et apanage du 19ème siècle, il préfère par le putting-out (travail à domicile), contrôler la production artisanale et s'en réserver la commercialisation. 


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  • Ingénieur retraité. professeur d'Esperanto via Internet. Nombreux pôles d'intérêt: Actualités économiques, politiques, internationales. Histoire. Sports. Nouvelles technologies. Astronomie
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