Voici un bien malheureux exemple anachronique du mot fameux : " Impossible n'est pas français " que l'on tient, selon deux versions légèrement différentes,
soit de Napoléon dans une lettre de 1813 soit de son ministre Fouché en 1808, d'après les sources consultées !
Il semblait, en effet, complètement impossible que l'armée française puisse être battue au cours de cette sombre journée d'octobre 1415 !
Dressons le décor de l'affaire en quelques mots avant de revenir en détail sur certains points : Une troupe anglaise de 10.000 hommes (peut-être plus. Il
y a des divergences selon les chroniques du temps) a débarqué par surprise en Normandie à Harfleur, en a fait le siège et s'en est emparée après 5 semaines d'assaut. La tempête ayant
entretemps dispersé les bateaux, la troupe anglaise ou plutôt ce qu'il en reste (pertes au combat, désertions, dysenterie...) n'a d'autre solution, après avoir consciencieusement pillé
la ville conquise et jeter sur les routes les habitants rescapés, que de se replier sur Calais, possession anglaise depuis 1347. A pied la route est longue, les milices
françaises locales harcèlent les anglais qui égrènent le long du chemin les blessés, les malades, les mourants. Bientôt l'Host convoqué par le Roi de France barre le chemin aux anglais,
les empêchant de franchir la Somme. La situation du Roi anglais semble désespérée : Il lui reste 5 à 6 mille hommes épuisés dont à peine mille de cavalerie. Une troupe française, sur ses
arrières, menace ses bagages. En face l'armée française compte 20 mille hommes voire plus dont la fine fleur de la Chevalerie (la régionale principalement, celle qui veut protéger ses
terres. Les chevaliers des provinces lointaines n'ont guère eu la possibilité ou l'envie d'arriver à temps !) et un chef de guerre expérimenté, le Maréchal Boussicot. Comment
est-il possible de perdre dans de telles conditions ? Et pourtant.....!!
Revenons aux anglais. Leur jeune Roi Henri V de Lancastre, usurpateur fraîchement couronné est contraint, pour maintenir son autorité et une paix intérieure
fragile, de s'appuyer sur le parti de la guerre au rival français fragilisé lui aussi par la folie du Roi Charles VI et les menaces de guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. Henri V
concentre donc à Southhampton une petite armée de professionnels, archers pour la plupart qui ont participé aux opérations militaires de Galles, Irlande ou Ecosse. Ces rudes hommes utilisent le
fameux arc gallois - le longbow - en bois d'if, d'hauteur d'homme, capable de percer une armure à 100 mètres et pouvant lancer 10 flèches par minute ! Une arme défensive terrible qui a déjà
fait ses preuves notamment à Crécy, 70 ans plus tôt puis à Poitiers 10 ans plus tard à la grande confusion des troupes françaises et notamment de la cavalerie qui y fut massacrée ! Le
Roi Henri V lie à lui par serment ses soldats et leur verse une solde ("six pence a day" selon le chroniqueur anglais John Stevens, ce qui ne semble pas bien cher pour risquer sa vie.
Heureusement, il y a le pillage et les rançons des nobles chevaliers faits prisonniers pour améliorer l'ordinaire !). Les soldats anglais sont fortement encadrés et ont l'habitude de se
battre ensemble. Il s'agit donc d'une troupe solide, disciplinée et homogène.
Quelle est, en cette année 1415, la situation côté français. Elle est politiquement désastreuse. La santé du Roi Charles VI ne lui permet plus de diriger le royaume
qui est livré à la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons à tel point que le gouvernement pro-armagnac n'ose pas lever les milices parisiennes, soupconnées de préférence bourguignonne,
pour aller affronter l'anglais. Jean sans peur, duc de Bourgogne, le meilleur chef militaire français de l'époque, refuse de participer à la campagne et recommande à son frère, duc de Brabant
d'en faire autant (conseil que d'ailleurs ce dernier ne suivra pas puisqu'il laissera la vie sur la champ de bataille). On convoque donc l'Host dans tout le royaume et on sort l'oriflamme de
St Denis. La noblesse est mandée d'aller sus à l'anglais et de le bouter hors du royaume. Comment se présente-t-elle, cette armée royale ? Elle est composée, pour une grande part, de nobles
chevaliers assistés de leurs servants et écuyers. Le reste, la "piétaille" méprisée par les chevaliers, est composée d'hommes d'armes, de piquiers, de "vougiers" et d'arbalétriers. Ils
viennent derrière et ne sont là que pour exploiter les assauts de la cavalerie où se pressent voire se bousculent, ivres d'orgueil et de beaux coups, les beaux chevaliers dans leurs superbes
armures. Pas ou peu d'archers (l'arc, c'est bon pour ces vils anglais ! ). Ah, j'oubliais ! Il y a aussi de l'artillerie (on n'en est qu'aux balbutiements !). Quelques bombardes de 1ère
génération, pesantes, peu ou mal maîtrisées mais toutefois capables de faire leur petit effet à quelques centaines de mètres en terrain découvert ; ébranler une troupe compacte, par exemple,
retranchée derrière ses défenses de rase campagne.Tout cet ensemble hétéroclique se mettra en place en grand désordre. Difficile, en effet, de faire obéir, encore plus de faire
manoeuvrer ensemble, des grands seigneurs qui se jalousent, se défient, bref, ne pensent qu'à leur gloire personnelle et non à la victoire finale ! Il y a plus grave encore : Le
commandement est multiple. Il y a là Jean 1er comte d'Alençon, le connétable Charles 1er d'Albret, Olivier de Clisson et le maréchal Jean II de Meingre, dit Boucicot qui semble être le seul
à craindre l'anglais et à peu-près le seul à avoir la tête sur les épaules dans l'optimisme général. Il est vrai qu'il a connu quelques années auparavant à Nicopolis un cuisant échec face à
des archers ottomans retranchés derrière une forêt de pieux, ce qui semble avoir calmé son enthousiasme pour les charges de cavalerie inconsidérées ! Les chefs de guerre français ne
sont naturellement d'accord ni sur la tactique ni sur l'opportunité des manoeuvres. Après bien des palabres, Boucicot obtient avec peine l'accord pour le combat à pied et non la charge de
cavalerie, de sinistre mémoire contre les anglais (les défaites de Crécy et de Poitiers déjà évoquées). La tactique sera donc d'aller au contact de la ligne anglaise en 3 vagues successives, de
l'enfoncer et de la détruire. C'est un plan qui semble logique vu la supériorité numérique (rapport de l'ordre de 3 contre 1) de l'armée française.
Comment se présentent les choses sur le terrain ? Henri V a pu finalement traverser la Somme sur un pont non gardé. Il progresse vers le nord puis, sachant l'armée
française toute proche, il établit son camp en fond de vallée entre les bois d'Azincourt et de Tramecourt. Au Nord, l'armée française lui barre le chemin. Le choix anglais est judicieux. En
infériorité numérique, il a choisi un front de bataille étroit, bordé des bois qui protégent ses flancs d'une attaque de cavalerie. De plus, les cieux sont anglais la nuit précédant la bataille.
Une pluie lourde s'abat sans discontinuer sur les deux armées et transforme en bourbier la future zone des combats. Henri V dispose au centre sur une seule ligne ses cavaliers démontés
et sa troupe à pied et sur les ailes, en saillie (technique anglaise habituelle et éprouvée), il dispose ses archers qui se protègent à l'aide de pieux fichés en terre.
De son côté, Boucicot, après les altermoiements que l'on sait, a disposé ses forces sur 3 lignes de bataille. Il a dû accepter que quelques forces de cavalerie
s'établissent sur ses ailes pour, éventuellement, charger les archers anglais.
Les 3 premières heures de ce vendredi 25 octobre se passent en invectives et provocations diverses sans qu'aucune ligne ne bouge. En bon stratège, Henri V a compris
qu'il lui faut mener un combat défensif, les conditions d'assaut étant détestables pour le camp qui s'y risquera. Il faut donc que les français attaquent ! Il fait alors avancer ses troupes
jusqu'à portée de flèches, ce qui lui permet d'encore resserrer le front de bataille. Ne reste plus qu'à provoquer les bouillants et orgueilleux chevaliers français pour qu'ils viennent se jeter
dans le piège. Une volée de flèches suffira à déclencher l'assaut - sans ordre - de la cavalerie placée sur les ailes et qui sera anéantie en quelques minutes. Devant ce spectacle, la 1ère ligne
française s'ébranle et avance lentement en s'embourbant dans le terrain spongieux, sous une pluie de flèches anglaises. L'armée française na pas de contre-tir à proposer ! Les arbalétriers
sont trop loins et les bombardes...sont embourbées, loin de la ligne d'assaut ! Cette 1ère ligne parvient enfin au contact et commence à ébranler la ligne anglaise. Henri V est désarçonné
et à deux doigts d'être pris ou tué mais alors les archers placés en saillie sur les côtés de la ligne anglaise attaque de flanc les français, tuant ou faisant prisonniers un grand
nombre de chevaliers empêtrés dans leurs armures et dans la boue. Dans une confusion extrême, les principaux princes étant déjà pris ou tués, la 2ème ligne française puis la 3ème viennent au
contact sans pouvoir retourner la situation.
Les pertes françaises sont terribles pour la noblesse et l'administration royale : 5.000 chevaliers dont 7 princes de sang sont tués et 1.000 faits
prisonniers. Les pertes en hommes d'armes sont mal connues (ce n'était sans doute pas très important à l'époque !). Il est probable que devant le désastre subi par les chevaliers
amassés en 1ère ligne, la "piètaille", sans chefs, ait fait piteusement retraite, l'affaire étant trop mal engagée. Côté anglais les pertes sont ridiculeusement faibles (13 chevaliers et une
centaine de soldats !)
Avec Azincourt, c'est le glas de la chevalerie qui sonne ! Ses méthodes de combat individualistes et irréfléchies sont dépassées car désastreuses face à des troupes
entraînées et disciplinées.
La revanche viendra 30 ans après, sous le Dauphin, futur Charles VII avec la levée du siège d'Orléans, les combats sur la Loire et la victoire de Patay (dans
laquelle la mythique Jeanne d'Arc, l'improbable bergère de Domrémy, ne fut pour rien, n'ayant pas pris part aux combats !).